Vous êtes plusieurs à nous avoir demandé le texte du poème chanté par notre ami Franc Bardou sur le site du castel de Belpech. Il s’agissait d’un poème de Guilhem IX de Poitiers (1096-1126), neuvième duc d’Aquitaine, le premier troubadour connu et sans doute le second poète en Europe à ne pas composer en latin.
Ab la dolchor del temps novel
Ab la dolchor del temps novel
folha li bosc, e li aucel
chanton, chascus en lor lati,
segon lo vers del novel chan:
adonc esta ben c’om s’aisi
d’acho dont hom a plus talan.
De lai don plus m’es bon e bel
no vei messager ni sagel,
per que mos cors non dorm ni ri
ni no m’aus traire adenan,
tro qu ‘eu sacha ben de la fi
s’el’es aissi com eu deman.
La nostr’amor vai enaissi
com la branca de l’albespi,
qu’esta sobre l’arbr’en treman,
la nuoit, ab la ploja e al gel,
tro l’endeman, que-l sols s’espan
per la fuelha vert el ramel.
Enquer me menbra d’un mati
que nos fezem de guerra fi
e que-m donet un don tan gran:
sa drudaria e son anel.
Enquer me lais Dieus viure tan
qu’aja mas mans jos son mantel !
Qu’eu non ai song d’estraing lati
Que-m parta de mon Bon Vezi (1)
Qu’eu sai de paraulas com van
Ab un breu sermon que s’espel;
Que tal se van d’amor gaban,
Nos n’avem la pessa e-l coutel. (2)
Guilhem de Peitieu (1071-1126)

Franc Bardou, à Belpech, chante Guillaume de Poitiers.© J.-Cl. Peytavie.
(1) » mon bon voisin », surnom en poésie de la Dame de Guilhem de Poitiers.
(2) avoir le morceau et le couteau, c’est-à-dire tout ce qu’il faut pour manger; être bien servi.
Avec la douceur du temps nouveau,
les bois se couvrent de feuilles et les oiseaux
chantent, chacun en son latin,
suivant le vers d’un nouveau chant.
Donc il est bien de se réjouir
de ce dont on a le plus envie.
De là où se trouve selon moi le plus de bien et de bonté
je ne vois (venir) ni messager ni lettre scellée,
(c’est) pourquoi je ne dors ni ne ris
ni n’ose m’avancer,
jusqu’à ce que je sache, du fin mot de cela,
s’il en va comme je le demande.
Il en va de notre amour
comme de la branche d’aubépine
qui reste sur l’arbre, tremblante,
dans la nuit, à la pluie et au gel,
jusqu’au lendemain où le soleil se répand
sur les feuilles vertes et le rameau.
Je me souviens encore d’un matin
où nous mîmes fin à notre guerre ;
elle m’y accorda un don si grand,
sa chair d’amour, et son anneau.
Que Dieu me laisse vivre autant
que j’aie mes mains sous son manteau.
Car moi, je n’ai cure d’étranges latins
qui me distancieraient de « mon Bon Voisin »
et je sais comment il en va des paroles
qui éclosent en un bref sermon :
il en est qui se vantent d’amour.
Nous, nous avons la pièce et le couteau !
Guilhèm IX d’Aquitània
trad. F. Bardou

La Ganguise.© Franc Bardou.